La science-fiction française
a-t-elle encore un avenir ?
Réponse à
l'enquête
parue dans le numéro 12
du fanzine Planète à vendre,
août/septembre 1992
7 questions-pièges pour 20 auteurs-phares !
La contre-offensive
1. Pourquoi écrivez-vous de la science-fiction ?
Parce que la SF est un puissant outil pédagogique, un véhicule
idéologique non négligeable et la plus riche expression de
l'imagination créatrice... même si je me répète.
2. Peut-on vivre de la science-fiction en France ?
0UI, si on n'a la chance d'avoir une épouse bien rémunérée ou qu'on
adore les rutabagas.
3. SF française et SF américaine : quelle est la meilleure ?
La production française; ? En progression : il
semblerait que les auteurs nationaux se soient débarrassés de leurs
travers nationaux. Je pense même que certains sont à deux doigts de
produire des oeuvres qui marqueront, comme
"Fondation", "Le Tschaï" ou
"Dune" ont marqué.
Place-t-on la barre plus haut que pour des auteurs ricains, for
example ?
Franchement, j'en doute, même si certaines merdes
d'outre-atlantique n'ont même pas la place dans ma fosse septique. Le
problème n'a rien à voir avec des exigence littéraires, le problème,
c'est que nos éditeurs ne font pas leur boulot.
4. Méventes : manque de lecteurs ou défaillance du circuit ?
Eh bien voilà une vraie question marketing que quasiment personne ne
se pose, ou alors entre la poire et le fromage. En 1992 et en France,
la SF se vend mal, qu'elle soit anglo-saxonne ou francophone,
excellente chose... pourquoi ?
- Parce que le produit est insatisfaisant.
- Parce que le produit a une mauvaise image.
- Parce que le produit est méconnu.
À priori, c'est rébarbatif car les trois mauvaises conditions sont
réunies, mais rien n'est perdu : il suffit juste d'améliorer la
qualité d'un produit dont on changera l'image avant de la promouvoir.
Questions : a-t-il existé une période durant laquelle le
produit était florissant ? Oui, alors quelles étaient les
conditions de ce bon fonctionnement ? Ces conditions
peuvent-elles être reproduites ? Peut-on les adapter au contexte
actuel ? Doit-on en inventer d'autres ?
Je peux continuer ainsi indéfiniment, jusqu'à mettre sur pieds une
stratégie générale de reconquête et d'extension d'un marché qui,
aujourd'hui (qu'ils le reconnaissent ou non), n'intéresse pas les
éditeurs. En abrégé, je me contenterai de quelques remarques sur les
rouages grippés.
- Après la mode de "dénigrement" du produit culturel
français, nous sommes entrés dans une période où il est de bon
ton de dire que le créateur français est aussi bon, sinon
meilleur, que son homologue américain... aucun éditeur ne s'en est
aperçu.
- Un bon manuscrit doit être retravaillé pour devenir un
excellent roman... aucun responsable littéraire ne s'en donne la
peine, en tout cas à fond (c'est à l'auteur de se démerder, sur de
vagues conseils généraux).
- Payé à coups de lance-pierres, un auteur doit privilégier la
quantité à la qualité pour remplir son frigo.
- La plupart des bons auteurs se suicident avec des bouquins
minables, par compromis alimentaire les mauvais ne font jamais le
moindre effort alimentaire... et pourtant, ils trouvent des
éditeurs !
- Le lecteur aime les pavés, l'éditeur lui en vend, mais
ricains, pendant qu'il contraint ses auteurs à faire du 184 pages,
gabarit défavorable au chef-d'oeuvre... c'est le moins qu'on puisse
dire.
- Le rayon SF, dans les librairies qui en possèdent, est
généralement caché sous une banque entre les BD enfants et les cartes
routières.
- Les offices entraînent les droits de retour qui poussent les
détaillants qu'un temps très court. Parallèlement, la critique tombe
souvent plusieurs mois après la parution. Au Fleuve, la conjugaison
des deux, alliée à l'absence de réédition, bousille littéralement la
vie d'un bouquin.
- La SF est toujours liée à "La Guerre des Étoiles",
que tous ceux qui refusent d'en lire sont allés voir ! Sic.
- Il y a quatre magazines traitant de pin's, pas un seul de
SF. Quant aux fanzines, ils ne touchent que les plus mordus, donc sont
commercialement inefficaces. Au passage, je tiens à signaler que pour
être efficace un magazine devrait amener des lecteurs, donc s'adresser
à un public plus large que celui des fanas, donc traiter de SF
uniquement, pour sûr, mais pas seulement littéraire. Entre le
cinéma, incluant le télévisuel et la vidéo, la BD, le jeu, la
prospective scientifique et sociale (eh oui !) et les expos
futuristes, il y a de quoi faire ! (NDT : Ça, c'est le
sommaire de "Planète à Vendre !" ! ! !
Mais passons...)
- Aucun éditeur ne cherche à vendre ses auteurs à l'étranger,
se privant et les privant de subsides qui leur permettraient d'écrire
moins donc mieux et de faire des efforts d'internationalité.
- Les auteurs français manquent de rigueur scientifique
(formation généralement littéraire par rapport aux écrivains
américains), de souffle épique et d'instinct romanesque. De plus, sans
parler des idées "scénariques", ils reproduisent
généralement des techniques d'écriture qui commencent à être
archaïques.
- Certaines pratiques commerciales prennent le lecteur pour un
con et il déteste ça. Je parle du "tomage", par
exemple, au Fleuve et chez Denoël, que rien ne justifie, ou de
l'échelle de prix en fonction de la notoriété (Denoël toujours).
- En publiant en gros format (sous couvert de littérature de
l'imaginaire dans laquelle il confine la SF), les inepties de Guieu et
autre Hubbard, la mièvre Fantasy et du Fantastique d'extrême-droite,
l'éditeur donne à penser au lecteur que c'est le meilleur du
genre. D'autre part, la mode qui consiste à lier Fantastique, Fantasy,
Gore et SF salope consciencieusement l'image de notre domaine de
prédilection.
- "Ailleurs et Demain"
n'a pas édité de
français depuis 85, Denoël vire au fantastique, J'ai Lu s'est
endormi, Presses Pocket a perdu le fil de la SF depuis au moins dix
ans, FNA yoyote de mutation en mutation... En outre, nos directeurs
littéraires dirigent surtout des équipes de traducteurs et des
collections de rééditions, en sous-entendant occasionnellement que, de
toutes façons, les auteurs français sont minables.
- Aucun effort promotionnel n'est consenti aux ouvrages.
- Les média ignorent l'existence de la SF ou lui cassent du
sucre sur le dos.
- La SF est complètement marginalisée, il ne viendrait à
personne l'idée que ce puisse être de la littérature. C'est d'autant
plus aberrant qu'au cinéma, le genre marche mieux que tout le reste et
qu'il est de plus en plus l'image même du chef d'oeuvre
cinématographique.
Pour résumer : l'éditeur l'auteur, le diffuseur et le
libraire travaillent à côté de leurs pompes. Les média ne sont
responsables que de leur bêtise, mais c'est à l'éditeur de les
faire évoluer. Le fan devrait un peu s'ouvrir aux autres. Quant au
lecteur, soyons franc, c'est à nous de le convaincre, pas l'inverse.
5. La SF est chère ? Les bouquins sont mal présentés ?
Du petit poche à plus de soixante balles, comme Présence du
Futur, ou du grand format à plus de cent vingt, comme Ailleurs &
Demain, n'ont plus qu'à mettre la clef sous la porte, à n'en pas
douter. Les illustrations dégueulasses du Livre de Poche et d'Aurore,
la pub au dos des FNA et l'aspect tapageur des grands formats Presses
Pocket aideront sûrement à leurs disparitions. Bon, oui, et
alors ?
6. Le livre idéal ?
Il y a du boulot à faire en fonction de chaque bouquin,
j'aimerais juste qu'il soit fait.
7. Quel avenir pour la science-fiction française (SFF) ?
Je crois qu'avec la suppression des couacs cités au
paragraphe 4 la SFF connaîtra des jours sympas. À défaut, il reste à
se battre chacun pour sa gueule et d'avoir du bol. Beurk.
Mise en page : Hervé Mignot -
email : mh@lri.fr