En v'la des trucs, en v'la
À l'origine de cette collection de paragraphes divers, il y a le Groupe Rempart, une
association informelle d'écrivains qui se réunit de temps en temps pour bosser sur
l'écriture, ou qui s'échangent des articles et des
idées par l'intermédiaire d'un
bulletin. Le grand Gourou, maître de cérémonie et
personnage-clé s'appelle Raymond Milési.
Certaines des rubriques ci-dessous sont issues de la liste qu'il avait soumise à Rempart.
Il est bien évident que ce qui suit, les trucs, les réflexions personnelles, etc,
sont juste des "astuces" que j'essaie d'appliquer ! Elles n'ont aucune prétention
à l'universalité et je ne suis même pas sûr d'arriver moi-même à m'en servir correctement
dans tous mes textes. Disons que j'ajoute mes bouts de gras au pot-au-feu commun. Si
tout le monde en fait autant, on aura un plat suffisamment copieux pour que chacun
y trouve son compte !
Dialogues
C'est un de mes points faibles, donc j'ai peu à en dire :
-- On peut souvent "réduire" le nombre de répliques dans un dialogue trop long en regroupant
deux ou trois répliques voisines d'un même personnage (truc aimablement fourni par
Michel Jeury.
Il y en a beaucoup d'autres de lui à travers ces pages).
-- La personne qui parle est, par défaut, la dernière à avoir agi, sauf précision contraire.
Une façon d'éliminer quelques "dit-il" est donc d'insérer dans un dialogue des petits
bouts de phrase permettant à un personnage de "prendre la parole par défaut". Exemple :
-- Je ne sais pas comment rentrer chez-moi, dit Georgette.
-- J'ai deux places dans ma voiture, proposa Albert.
Peut devenir :
-- Je ne sais pas comment rentrer chez-moi, dit Georgette.
Albert leva les yeux de la revue qu'il lisait :
-- J'ai deux places dans ma voiture.
Une forme de dialogue que je trouve haïssable est celle qui consiste à faire parler
un personnage pour donner des informations générales sur la situation ! En général,
c'est lourd, pâteux et emprunté. Corollaire : les personnages qui n'ont que des dialogues
"utilitaires" sont souvent ennuyeux ! On s'aperçoit que les dialogues les plus passionnants
sont ceux durant lesquels les personnages parlent de choses "inattendues" (subtilement
hors contexte), qui jettent une lumière sur ce qu'ils pensent et obligent le lecteur
à les considérer comme des gens de chair et d'os, non de simples véhicules
de discours.
J'ai aussi remarqué qu'un personnage assez fort, assez riche, décide lui-même de ce
dont il a envie de parler et du moment de le dire.
Enfin, un de mes trucs est de noter des tas et des tas de répliques "potentielles"
pour chaque personnage, des bouts de dialogues qui me viennent tout à fait hors contexte
mais que je peux soit replacer tels quels (rarement), soit utiliser comme "support
de référence" pour essayer de caractériser le "ton" de chaque personnage. Au cours
d'un roman, je constitue ainsi une ``Fiche de dialogue'' pour chaque personnage principal,
où je recopie chaque dialogue important déjà écrit ainsi que les bouts de répliques
potentielles. En relisant chaque fiche, je devrais pouvoir sentir le personnage évoluer,
savoir quand il ment, etc. Ce n'est pas aussi évident qu'il le paraît, malheureusement !
Descriptions
Il existe de nombreuses sortes de descriptions, parmi lesquelles (liste non exhaustive) :
- La description en "perspective externe" :
La chambre comportait deux lits jumeaux, une armoire à glace imposante et une table
de chevet sur laquelle était posé un réveil.
- La description "induite par l'action" :
Sitôt entré, il alla s'asseoir sur un des lits jumeaux et tendit la main vers le
réveil posé sur la table de chevet.
- La description "en miroir des réflexions d'un personnage" :
Cette chambre était à l'image de sa vie : deux lits jumeaux séparés par la distance
infranchissable de la table de chevet, dont le réveil au tic-tac omniprésent rythmait
ses nuits de veille. Depuis peu, elle avait même séparé leurs piles de drap dans
l'armoire à glace.
- La description en forme de trait d'esprit :
Le mec qui rentre dans mon burlingue ressemble à un de mes amis, gynécologue, qui
est devenu riche le jour où il a attrapé la maladie de Parkinson (San Antonio,
cité de mémoire).
- La description en tant qu'écho symbolique d'une scène, d'un récit :
Dans l'obscurité, les vagabonds de la plage se tenaient à la ligne des marées, écoutant
la musique qui parvenait jusqu'à eux, portée par les vagues thermiques. Ma torche
éclairait les bouteilles cassées et les fioles hypodermiques à leurs pieds. Portant
leurs bigarrures mortes, ils attendaient dans l'air terne comme des clowns flétris
(J. G. Ballard, "Dites au-revoir au vent", in Vermillon Sands).
etc, etc.
Moi, j'adore les descriptions, je m'y sens à l'aise, ce qui veut dire que j'aurais
facilement tendance à en abuser. Je me suis fixé les règles suivantes :
-- Ne décrire que ce qui n'est pas connu, ce qui est "merveilleux", "extraordinaire",
ou alors ce qui est directement "utile" (ou qui va être utilisé par la suite). Je
trouve par contre inutile de décrire une salle de bain, s'il s'agit de la même salle
de bain qu'on rencontre partout (par contre, décrire des chiottes en apesanteur peut avoir
son intérêt). Inutile aussi de décrire quelque chose que le lecteur connaît aussi
bien que moi.
-- Varier les types de description : j'utilise rarement la description en "perspective
externe", ou alors pour deux ou trois lignes. Au-delà c'est rasoir (à mon goût).
Par contre, j'utilise souvent les descriptions "induites par l'action", qui ont
l'avantage de ne pas casser le rythme (beaucoup de lecteurs ne s'aperçoivent pas qu'il y a
eu description ).
-- J'apprécie des descriptions "recherchées", exotiques, (type 5). Elles demandent
un travail extrêmement soigné au niveau du vocabulaire et du rythme (points auxquels
je consacre une rubrique de trucs car ils me paraissent essentiels), par contre elles
ont un effet dépaysant garanti. De même, décrire un vol d'astéroïdes dans l'espace profond
ou une cité sous marine mérite plusieurs pages, qui peuvent provoquer un sentiment
d'émerveillement (quand ça marche ).
Il est rare que je me dise : là, il faut une description. Quelquefois, à la relecture,
je rajoute une phrase ou deux dans le corps du texte pour préciser un point laissé
dans l'ombre. Lorsque j'écris une description, c'est toujours avec une certaine dynamique,
emporté par un élan, presque avec urgence. Une "bonne" description, pour moi,
doit toujours donner l'impression d'avancer. Sinon, elle est coupée à la relecture,
parce qu'ennuyeuse et vaine.
La référence aux cinq sens est essentielle.
Enfin, une description de plus cinq lignes devrait toujours avoir une "signification",
une "morale", une "portée symbolique ou esthétique". Décrire n'est jamais
neutre ; c'est aussi, suivant les cas, juger, poser des jalons, voire détruire.
Ponctuation
Je n'aime pas trop la "nouvelle" ponctuation (en tant que lecteur, ça m'ennuie, en
tant qu'écrivain je ne sais pas m'en servir). Les seules remarques que je peux faire
concernent la typographie : toutes les polices de caractères n'admettent pas les
majuscules accentuées et les éditeurs n'aiment pas trop les typographies exotiques. Une
solution consiste à mettre soi-même en page ses livres, ce qui est une activité très
simple et que beaucoup d'éditeurs rémunèrent (le Fleuve Noir paie 1500 francs pour
la fourniture du manuscrit mis en page à leur format). Ce travail a représenté une après-midi
de tâtonnement la première fois. À présent, je tape directement à ce format et j'envoie
le manuscrit déjà mis en page. Les documents "modèles Fleuve Noir" pour divers
traitements de textes sur Macintosh sont disponibles chez moi, ou directement au Fleuve
chez Marie-France Dayot. Envoyez-moi une disquette et une enveloppe timbrée à votre
adresse pour la réponse.
Couper ou laisser
Je ne rentre pas dans la querelle sur les adverbes, j'ai tendance à penser que ça
dépend des textes. Par contre, je me permets de (re-)signaler aux heureux possesseurs
de Macintosh que le programme gratuit
"Analyseur",
dont je suis l'auteur, est disponible
chez moi (envoyez-moi une disquette et une enveloppe timbrée pour la réponse). Il
peut aider à localiser les problèmes d'adverbe, de faire, etc, ainsi que certains
problèmes de vocabulaire (j'y reviendrai).
Pour ce qui est de couper, une relecture trois mois plus tard permet en général de
localiser un bon nombre de passages "inutiles" ou "gratuits". Encore faut-il avoir
le temps d'attendre !
Lieux et outils d'écriture
Diverses personnes (voir à ce sujet les articles de
Gérard Klein dans "Nous les Martiens")
pensent que l'arrivée massive des traitements de textes est responsable du gonflement
des romans américains actuels, dont l'exemple type est Stephen King. L'argument invoqué
est qu'il est plus "facile" d'écrire, et surtout de rajouter, sur un traitement
de textes. On a donc tendance à en faire des tonnes, à ne pas faire le tri entre
l'important et le secondaire, à rajouter des péripéties pour le simple plaisir de
les écrire, etc (Pierre Stolze
reconnaîtra certainement une tendance stigmatisée par
lui dans un numéro récent de Yellow Submarine). Je ne suis pas nécessairement d'accord
mais j'admets que l'ordinateur aura tendance à "exagérer" le défaut, si celui-ci
existe déjà. Ça marche aussi dans l'autre sens : les écrivains qui s'efforcent d'écrire
dense, minimal, court, compact, peuvent utiliser l'ordinateur pour travailler au
mot près et ça donne des textes absolument squelettiques, dont toute chair a été
minutieusement arrachée (il y a des longueurs nécessaires, ne serait-ce que pour des raisons de
rythme).
L'ordinateur n'est donc pas un moyen "neutre" d'écrire, pas plus que le stylo. Il
a son propre rythme et ses propres exigences. Par contre, il y a une chose formidable
dans l'ordinateur qu'on ne trouve pas ailleurs : le texte, tous les textes, existent
dans leur globalité et sont analysables simultanément par tout un tas de bouts.
J'ai commencé à écrire sur ordinateur, ou presque. Tout ce que j'ai écrit dans ma
vie est logé dans un petit coin de mon disque dur. En quelques minutes, je peux savoir
quels sont les mots que j'emploie le plus fréquemment, rechercher une métaphore particulière
dont j'ignore le texte d'origine, faire des références croisées, etc. Je peux
rajouter du texte ou en enlever à n'importe quel endroit du récit, je peux retravailler
le vocabulaire d'un roman en lui donnant une coloration spécifique, et ainsi de suite.
Je peux étudier mes textes non pas en tant que "ce que j'ai voulu dire" mais en
tant qu'agrégats de mots, de sons, de sens. Et j'apprends souvent des choses.
Les rares fois ou j'écris à la main, faute d'ordinateur, je rature, je biffe, puis
je recopie proprement chaque page dans un cahier pour être sur de pouvoir la relire
le lendemain. Le texte obtenu est en général plus dense, plus compact, qu'à l'ordinateur.
D'ailleurs, quand je le frappe, une fois rentré chez moi, j'ai tendance à "l'enrichir"
en rajoutant par-ci par-là des lambeaux de phrases qui "sonnent bien".
Documentation
J'ai la chance d'avoir un énorme centre de documentation à mon travail qui me fournit
tout ce dont j'ai besoin, ou presque. J'ai tendance à beaucoup m'appuyer sur les
ouvrages et revues de vulgarisation, qui sont des mines inépuisables d'idées, de
décors, etc.
Le choix du vocabulaire "scientifique" est délicat. Le vocabulaire "vulgarisé" est
intéressant mais parfois imprécis. Le vocabulaire technique est souvent incompréhensible
pour les profanes. Je préfère employer un terme vulgarisé imprécis, quitte à le
"rectifier" dans le corps du récit, plutôt que d'enfouir mon lecteur sous une avalanche
de technicité. En fait, le problème ne s'est jamais vraiment posé dans aucune de
mes histoires jusqu'à présent.
Ne pas hésiter aussi à mettre ceux qui savent à contribution.
Jean-Louis Trudel (écrivain
et astrophysicien) m'a dit une fois : "Ne demande pas à un scientifique si ton explication
est valable. Décris-lui ce qui va se passer dans ton histoire et demande-lui de te
trouver une justification scientifique ! Il se débrouillera mieux que toi."
Le blocage
Vu que je ne commence à écrire que lorsque j'ai le plan complet de l'histoire à venir,
ça ne m'arrive pas (quand je n'ai pas d'histoire prête, je fais autre chose en attendant).
Par contre, je fais partie de ceux qui produisent dans la douleur (pas vraiment, faut pas
exagérer, mais c'est du travail et j'ai toujours un million de choses
plus marrantes à faire qu'écrire !). Le blocage serait une bonne excuse pour m'arrêter,
tous comptes faits !
Contacts avec l'éditeur
J'ai toujours fonctionné par la poste, sauf quand j'ai l'occasion de passer à Paris
pour poser un manuscrit chez l'éditeur. Toutefois, dans ce cas-là, c'est en général
la secrétaire que je vois, d'où l'importance de celle-ci ! Il est extrêmement recommandé
d'avoir de bonnes relations avec la secrétaire de l'éditeur car tout passe par elle !
En particulier, on peut lui téléphoner pour demander des nouvelles du manuscrit,
elle s'arrangera pour répercuter l'information en douceur auprès de l'éditeur
De même, parmi les personnes importantes à connaître, il y a le (ou là) responsable
des droits étrangers de la collection. En effet, on peut soit-même, dans une certaine
mesure, assurer la promotion de ses ouvrages auprès d'éditeurs étrangers, ou de
traducteurs, avec qui on est déjà en rapport.
On peut, par exemple, constituer un petit dossier de ses traductions précédentes (y
compris dans des pays qui payent peu ) et des courriers échangés avec des éditeurs
ou traducteurs étrangers. Ceci permet, à chaque sortie d'un nouveau livre, de demander
à ce qu'un envoi spécial, hors Services de Presse, soit fait à ces gens-là, avec l'accord
du service des droits étrangers. De même, le fait de savoir qui est responsable permet,
lors d'un contact avec un éditeur étranger, de préciser que "la personne à contacter
est Albert-Georges Molyneux, service des Droits Étrangers". Ça va plus vite et
cela permet de laisser croire que vous êtes si souvent traduit que c'est devenu de
la routine (ne riez pas, ça marche !).
Inutile de dire que si vous apportez à votre maison d'édition deux ou trois opportunités
de traductions de vos oeuvres, l'accueil est en général cordial, voire carrément affectueux.
Et ça permet parfois de négocier un contrat plus souple la fois suivante.
Enfin, dernier détail : il y a des maisons dans lesquelles les éditeurs changent assez
souvent ! Par contre, les responsables des contrats sont toujours les mêmes. Autant
aller les voir une bonne fois et s'en faire connaître, ça aide pas mal pour la suite
Le vocabulaire
Ça, c'est un point que je considère comme fondamental, en particulier pour les nouvelles
ou les textes courts
Le vocabulaire, tout d'abord. C'est un des facteurs qui permet de "plonger" rapidement
un lecteur dans une histoire, un contexte différent de sa réalité quotidienne. C'est
aussi, malheureusement, un des points qui peut vous "éjecter" d'un texte ! Un mot
mal choisi, décalé, une expression hors contexte, suffisent parfois à rompre l'envoûtement
de l'histoire, et c'est dommage. La littérature supporte assez mal les fautes de
goût involontaires.
J'emploie souvent une technique d'altération du vocabulaire correspondant à l'état
culturel, environnemental, etc de l'histoire. Plus cet état est éloigné de la réalité
que nous connaissons, plus il est important d'y faire attention et d'adapter
le vocabulaire utilisé dans l'histoire. Cela se traduit par :
1) Le non-emploi systématique de tout terme ne correspondant pas à la réalité présentée.
Par exemple, une histoire se passant sur une planète sans terres émergées ne comportera
pas les mots "terre", "sol", ni des mots comme "arbre", "champ". Bien évidemment,
cela est vrai pour l'emploi direct de tels termes mais aussi, et surtout, dans
le choix des métaphores et dans le contrôle systématique des expressions toutes faites.
Ce qui veut dire qu'un personnage qui tombe dans les pommes ne s'abattra pas "comme
un arbre foudroyé" mais "comme un mât frappé par la foudre", un personnage n'aura pas
des réflexions "terre à terre" (on peut essayer "bien ancrée" à la place), un passager
clandestin ne se "terrera" pas dans la cale, etc, etc.
2) L'emploi d'une surabondance de termes à la fois techniques et précis mais aussi
"recherchés", "élaborés", voire précieux, dans les domaines les plus caractéristiques
de mon histoire. Dans le cas du monde sans terres émergées, il devra exister au moins
une douzaine de termes "courants" pour qualifier la couleur de la mer. C'est souvent
le contraste entre la richesse surprenante d'un langage dans certains domaines et
sa pauvreté dans d'autres qui donne le sentiment d'étrangeté recherché.
Attention : ça ne veut pas dire que je vais fabriquer des mots nouveaux (c'est même
assez rare) mais que je vais utiliser des mots moins courants, ou des mots courants
de façon légèrement hors contexte. Par goût, j'essaie de limiter au maximum la fabrication
de mots nouveaux et, si je le fais, de fabriquer des vocables simples à déchiffrer
(exemple, un "AnimalVille" est un animal de la taille d'une ville, dont il remplit
aussi la fonction. Jimmy Guieu aurait sans doute préféré
"Hypermédusoïde" !).
3) La recherche systématique d'un corpus d'expressions toutes faites, comparaisons,
façon de se comporter des personnages, etc, correspondant à l'environnement de l'histoire.
Dans Dune de F. Herbert, le jeu avec l'eau est très bien rendu, entre le personnage
qui crache sur la table de négociation pour manifester son accord (l'eau étant
la denrée précieuse, en faire don, même sous forme de crachat, est un geste important.
Idem pour le rôle symbolique des larmes (donner de l'eau au mort), etc, etc ).
Une parenthèse un peu scabreuse : je travaille à la fois à l'aérospatiale Division
Avion et dans un centre de recherche sur les supercalculateurs. Mes collègues ingénieur
de l'aviation diront : "je vais faire une escale technique" pour dire "je vais pisser". Mes
collègues informaticiens diront "je vais vider les buffers". Un marin de l'histoire
du monde sans terre pourrait dire "je vais pomper dans ma cale", par exemple, et
cela pourrait se prolonger par deux ou trois répliques sur le thème "la mer devrait
être bleue car elle est le reflet du ciel ou du paradis, ce sont les hommes qui l'ont
rendue verte en déversant dedans leurs impuretés, repentez-vous mes frères car le
mal est en vous !".
Tout ceci est dit assez sommairement, il faudrait des pages et des pages ! J'ai l'habitude,
avant de commencer une nouvelle, d'établir une fiche de vocabulaire avec un certain
nombre de mots dont la tonalité, le sens, me paraissent en accord avec le climat de
l'histoire. Ce sont souvent des matières, des sons, des couleurs, voire un ensemble
de termes techniques. Par exemple, dans le cas du monde sans terres, j'éliminerais
les couleur "terre de sienne" ou vert cru mais je chercherais divers nom de nuances
de vert, en travaillant des notions comme la transparence de l'eau, le mélange d'écume,
etc (évidemment, il n'y aura pas de "vert Véronèse", vu que Véronèse ne signifie
rien dans ce monde). Je me documenterais aussi sur le vocabulaire technique marin,
sur les différents noms associés aux vents, les odeurs (sel, iode, saumure, bien sûr, mais
aussi l'odeur des algues écrasées ou du poisson en train de sécher). Puis j'essaierais
de fabriquer quelques proverbes correspondant à mes besoins, deux ou trois expressions
toutes faites, et ainsi de suite.
Lorsque un de mes textes est terminé, je le relis une fois ou deux spécifiquement
pour être sur que le vocabulaire est en accord avec l'environnement. C'est plus dur
pour un roman que pour une nouvelle, par contre les résultats sont passionnants.
Une autre façon de jouer avec le vocabulaire est de retravailler les expressions passives
pour les rendre actives, ou de remplacer les termes imprécis par des expressions
plus précises. Je me suis aperçu, grâce entre autre à mon programme d'analyse, que
j'utilisais beaucoup (trop ?) de "quelques", "plusieurs", "faire", "chose" et autres
termes imprécis. À l'échelle d'une nouvelle, remplacer les "Il recula de quelques
pas" par "Il recula de trois pas" a un effet sensible (essayez). On a l'impression
que le texte est plus dynamique, plus vivant. À l'échelle d'un roman, l'effet est plus "noyé
dans la masse" mais j'ai découvert qu'en ce qui me concerne les passage où abondent
les termes imprécis sont ceux que je ferais mieux de retravailler
C'est en particulier vrai dans les descriptions où les verbes d'actions jouent souvent
un rôle important (ils rendent la description plus vivante) et où les termes imprécis
sont à proscrire (à quoi ça sert de décrire de façon imprécise?).
Enfin, ne pas oublier que les mots, enfin beaucoup de mots, ont un "poids", une "chaleur",
une "couleur". Si vous décrivez un personnage en train de se faire dévorer vivant,
la phrase "La créature arracha un lambeau de chair" donne à la lecture une sensation
différente de "La créature arracha un morceau de viande" ! La même chose peut souvent
être décrite de façon "positive" ou "négative", ou neutre. "Il était si grand qu'il
pouvait, en se hissant sur la pointe des pieds, atteindre les pots de confiture sur
le haut du buffet" donne un personnage qui semble mieux armé pour la vie que "Il
était si grand qu'il devait en permanence se courber pour passer les portes".
Idem, de ces trois filles, laquelle a la plus grosse poitrine ? Et la plus petite ?
Ses seins jouaient librement sous son chemisier.
Ses seins ballottaient sous son chemisier.
Ses seins tendaient orgueilleusement l'étoffe de son chemisier.
Si vous y réfléchissez, ce n'est nullement dit, et pourtant. Il y a trois verbes d'action
mais chacun d'eux n'est pas neutre et s'accompagne d'un cortège d'images et de sensations.
L'information n'est pas fournie de façon directe, mais dérivée. Elle est néanmoins là.
Enfin, le fait d'utiliser des éléments de vocabulaire à forte connotation sexuelle
permet en général d'obtenir un regain d'attention du lecteur (Cf exemple ci-dessus) !
La rythmique
Encore un point quintessentiel pour moi ! Jeury (toujours lui) m'a dit un jour : "Le
beau style, c'est le galop d'un cheval dans une cour pavée". Je ne connais pas de
formule qui résume mieux ce que j'aime dans un texte bien rythmé. Pour moi, le rythme
est indissociable d'un texte réussi. Et cette notion intervient à divers niveaux :
- Le rythme de la phrase, le jeu des cassures, des mots qui "sonnent". Tous les rythmes
sont possibles, bien sûr, et dépendent de l'action en cours, du mouvement de caméra
orchestré par le narrateur. Cela peut être de la poésie, un jeu avec les rythmes
de versification classiques (volontairement ou involontairement. J'ai terminé il y a
peu de temps une nouvelle dont la dernière phrase se termine par "à présent que je
sais ce que savent les morts.". Je n'ai découvert l'alexandrin qu'en lisant la nouvelle
à haute voix), ça peut être aussi un jeu sur les dissonances rythmiques (par exemple
dans un dialogue entre un vieux monsieur et un jeune homme, les rythmes des répliques
devraient être sensiblement différents), ou un reflet de l'action en cours (la description
d'un personnage qui court pour sauver sa vie ne sonne pas du tout comme la description
d'un personnage qui flâne devant les vitrines). Exemple d'exercice pour un atelier
de lecture : Décrire un personnage qui commence par flâner devant les vitrines, puis
qui s'aperçoit qu'il est suivi (cassure dans sa démarche), puis qui court pour
échapper à son suiveur.
- Le rythme du paragraphe, du dialogue. Une erreur de débutant, que j'ai souvent rencontrée
(et encore plus souvent commise) consiste à écrire des paragraphes entiers qui "ronronnent",
des alignements de phrases sans aspérités, construites sur le même moule rythmique.
En général, on ne s'en aperçoit pas directement à la relecture, l'impression
de malaise surgit une page ou deux plus loin. Difficile de détecter d'où elle vient
(ne pas hésiter à remonter en arrière de deux pages et de tout lire à haute voix).
Pour moi, un paragraphe doit avoir de la chair et des os. Il peut y avoir des phrases
saillantes, pointues, dures, et des phrases enrobantes, plus charnues. Des phrases
courtes, brutales. Des phrases qui prennent le temps de décrire plus précisément,
avec des pauses en cours de lecture, ce qui se passe. De même, dans une unité de texte
(une description, par exemple) il peut y avoir des paragraphes de longueur et de
style sensiblement différents suivant que l'on passe d'une partie statique de la
description (un paysage de campagne, par exemple) à une partie plus dynamique (un
oiseau qui jaillit
de derrière un buisson).
De même une cassure brutale et injustifiée du rythme, ou pire, un ramollissement,
peut vous éjecter du texte ! Il existe des livres durant lesquels on a envie de zapper !
C'est souvent (pas toujours) parce que le rythme est perdu. C'est dommage.
En fait, c'est très difficile de donner des recettes dans ce domaine. C'est quelque
chose qui relève tellement de l'instinct qu'on ne peut formaliser qu'après, quand
le texte est écrit. Je soulignerai néanmoins trois astuces :
- S'imposer un cadre rythmique strict dans son environnement (pour ceux, comme moi,
qui travaillent en musique, ne pas hésiter à enregistrer une seule chanson en boucle
qui sera écoutée durant tout le temps d'écriture de la nouvelle, ou au moins de la
scène). Ça permet de faciliter une sorte "d'unité rythmique" tout au long du texte. Il
m'est même arrivé, pour certains textes, de faire une bande sonore uniquement constituée
de rythme, avec une batterie programmable, en me prévoyant des "ruptures sonores"
pour casser un petit peu le rythme (c'est moins nécessaire avec une chanson qui est
déjà censée posséder ses propres cassures).
- Une fois le texte écrit, le lire à haute voix. Vérifier que ça sonne, qu'on ne s'essouffle
pas (on s'essouffle à lire comme à dire, essayez avec Proust qui était asthmatique).
Flaubert appelait ça "le gueuloir". C'est impitoyable, comme test.
- Pour les passages délicats, marteler le rythme sur un coin de table tout en lisant,
comme si vous battiez la mesure. Ne riez pas, essayez ! On découvre des trucs.
En fait, les deux aspects complémentaires Rythme et Vocabulaire se ressemblent en
ce qu'ils permettent d'enfermer plus d'information dans le texte qu'il ne paraît
en contenir au premier abord. Un texte, c'est d'abord du sens mais c'est loin de
n'être que ça. Un vocabulaire bien choisi permet de générer des ambiances, des sensations et
permet d'enrichir le contexte narratif sans le surcharger de mots. Un exemple : il
y a un abîme de différence pour moi entre le mot "glace" et le mot "sorbet" ; on
lèche une glace, on déguste un sorbet. L'un sert à rafraîchir, l'autre constitue un plat plus
raffiné. Donc, la phrase : "Au cours de leur promenade, il lui offrit une glace"
sous-entend (pour moi) qu'ils l'ont mangée en marchant, alors que "Au cours de leur
promenade, il lui offrit un sorbet" sous-entend qu'ils se sont arrêtés quelque part, par
exemple à la terrasse d'une pâtisserie. Les relations entre les deux personnages
divergent assez nettement d'un cas à l'autre.
De même, un rythme bien fichu donne du mouvement à la caméra, souligne des actions
ou introduit des ralentis, là aussi avec une économie de mots. Le texte y gagne en
densité, en profondeur, et laisse des impressions plus durables.
Le mythe fondamental
Pour moi, un texte n'est jamais seul. Il s'appuie sur un ensemble d'histoires qui
l'ont précédé, il revisite des mythes, des obsessions, des archétypes déjà rencontrées
ailleurs, il profite du déjà-vu/déjà-lu. On peut, bien sûr, traiter le phénomène
avec une superbe indifférence et réinventer la littérature à chaque page (j'aurais tendance
à penser qu'il faut un talent que je n'ai pas ). On peut aussi jouer avec, s'appuyer
sur le passé comme sur une canne ou le tordre en forme de Bretzel. Toutefois, cela
demande un minimum de connaissances et de préparation.
Un exemple :
J'ai eu à écrire (dans "Étoiles Mortes : Nivôse") une scène où le héros, Closter,
descendait dans l'esprit d'une ville pour en ramener l'esprit de sa bien-aimée (à
l'apparence de fantôme). Il y parvenait en accordant ses pas sur de la musique (les
Gymnopédies de Satie, entre autre) et en l'entraînant avec lui grâce au rythme du morceau
musical. Ceci renvoyait tout naturellement au mythe d'Orphée. J'en étais parfaitement
conscient au moment d'écrire le texte et j'ai donc préparé un ensemble de notes sur
les correspondances et les dissonances entre la scène que je souhaitais et le mythe. Cela
m'a amené à chercher derrière le mythe d'Orphée des mythes plus anciens ("l'épopée
de Gilgamesh", par exemple, où celui-ci va chercher son ami et "autre lui-même" aux
enfers). Puis, une fois que tout ceci a été clair dans mon esprit et que les notes (en
désordre) ont été écrites, j'ai pu balancer tout ça à la poubelle et écrire ma scène
d'un jet, suivant ce que j'avais envie de dire. Je crois, enfin j'espère, que des
correspondances sont présentes dans ce passage, qui s'en trouve enrichi. Je n'ai pas fait
l'effort explicite de les y mettre (je ne me suis pas dit qu'il fallait incorporer
tel ou tel lambeau de phrase écrite à l'avance, ni telle ou telle citation), je les
ai simplement gardées à l'esprit et elles se sont glissées entre les mots, à la place
qui leur revenait de droit.
Le texte obtenu en fonction du texte souhaité
Écrire un texte revient à fabriquer quelque chose qui doit générer un ensemble d'effets.
Autant d'effets que l'écrivain peut l'imaginer, et même plus si c'est possible. Pas
quelque chose de retenu, la retenue est un effet comme les autres, mais jamais un
moyen. Écrire avec retenue, ça n'existe pas. C'est comme les photos de nu pudiques,
ça ne consiste pas à rhabiller le modèle mais à varier les éclairages. Pour faire
un nu pudique, il faut d'abord déshabiller le modèle entièrement et bien le regarder.
À ce stade-là, le modèle en tant que personne n'existe pas, on se fiche de ses pudeurs,
de ses hésitations mal placées. On lui fait prendre la pose, on le visualise de la
façon la plus crue possible, puis on estompe certaines parties afin de générer l'effet
voulu. Le flou, le dissimulé, doit être volontaire et relever d'un acte déterminé. Ça
se voit dans un texte si l'auteur a voulu masquer volontairement son sujet ou si
l'effet de flou provient d'un manque de rigueur ; dans le premier cas, le photographe
a le modèle sous les yeux, bien éclairé, il voit tout ce qu'il veut voir, il sait (mais
il choisit de ne pas tout montrer ou dire). Dans le deuxième cas, il prend au téléobjectif
et certains détails restent flous, même pour lui.
Je trouve très difficile de m'imposer cette rigueur, cet éclairage cru, avant d'écrire
le texte. J'élimine inconsciemment trop de choses à l'écriture. Je n'ai pas encore
cette jouissance de l'impudeur qui est une composante nécessaire de l'écrivain. L'écrivain,
c'est quelqu'un qui déambule avec un grand imperméable et rien dessous, et
qui attend l'occasion favorable pour tout montrer. Pas gratuitement (enfin, on essaye
de ne pas se déshabiller pour rien), mais autant que nécessaire, et sans doute un
petit peu plus, pour être sûr d'en donner assez. Dans ce métier, on n'en fait jamais trop !
À ce stade-là, la technique devient un problème tout à fait secondaire. Si j'ai décidé
de l'effet que je veux réaliser, la méthode se trouve dans tous les manuels d'écriture.
Ou alors on pose la bonne question à un écrivain chevronné (moi je faisais ça avec Jeury,
par exemple) et on a la réponse immédiatement. Genre, "Comment puis-je décrire
cette scène de séparation déchirante sur le quai du RER sans tomber dans le sentimentalisme,
mais en faisant comprendre au lecteur les sentiments des protagonistes". On récupère
ainsi des conseils sur la manière de formuler le dialogue, la posture des
personnages (le corps fatigué, avec une excitation qui renaît, les épaules courbées
sous le poids des sacs et des valises, le bruit des trains qui les fait sursauter,
etc ). Alors que si je demande "comment écrire un bon texte se passant dans une gare ?"
je n'aurai pas de réponse. Enfin pas de réponse utilisable.
Un point entre parenthèses : j'ai souvent discuté avec divers écrivains de la manière
de "faire passer" de l'information dans un texte. Il semblerait qu'il y ait des règles
empiriques. Par exemple :
- Donner deux fois (avec un intervalle de pas mal de pages) les informations les plus
importantes, sous une forme assez voisine pour générer un "écho" dans l'esprit du
lecteur.
- Lorsque la zone de texte en cours est riche en informations, il vaut mieux 1) faire
des paragraphes courts (une idée/une info par paragraphe) et 2) mettre la partie
la plus importante au début ou à la fin du paragraphe, avec des phrases courtes ou
du moins "qui cassent le rythme". Les gens qui ont fait des études sur le processus de
lecture disent que le milieu d'un paragraphe trop long n'est tout simplement pas
lu par la plupart des lecteurs
- Associer une information à un instant "dramatique" ou "intense" permet de fixer plus
facilement cette information dans l'esprit du lecteur. Exemple :
-- Au fait, c'est moi qui ai tes clés, dit-elle en rangeant le lave-vaisselle.
à comparer avec :
Brutalement, la minuscule corniche céda sous ses doigts. Avec un hurlement d'épouvante,
elle dévissa le long de l'à-pic tandis que la corde de rappel se tendait jusqu'à
la limite de rupture. Il y eut un claquement sec ; la manille de rappel avait cédé.
Le corps désarticulé rebondit le long du glacier et disparut dans une crevasse.
-- C'est elle qui avait mes clés ! réalisai-je avec horreur.
Bien sûr, le fait que cet exemple soit éminemment phallocrate est hors du sujet !
Paradoxalement, il est très difficile de trouver un bon "étalonnage" personnel quand
on écrit, parce qu'on relit son texte en voyant ce qu'on a voulu y mettre et non
ce qu'on y a réellement mis. Il faut donc du temps pour que ce genre d'impression
s'estompe, il faut surtout bâtir ses propres critères d'évaluation, ce qui est un processus
lent et fastidieux. D'où l'utilité des lecteurs tests, qui aident à se recaler.
Les lectures test
Quelques précautions avant de faire évaluer un de ses textes
Première précaution : quand je donne un texte à lire, je m'efforce qu'il soit bien
imprimé, avec le moins possible de fautes d'orthographes. Cela permet au lecteur
de se concentrer sur le contenu du texte et non sur la présentation. Quand il m'arrive
de lire pour correction un texte bourré de fautes de frappes, je suis arrêté trop souvent
dans ma lecture et je n'ai pas le temps d'apprécier le rythme ou les subtilités du
texte. Mes commentaires sont donc beaucoup plus grossiers.
De même, je donne toujours des photocopies datées et je demande à ce que les commentaires
éventuels soient écrits gros, avec un bon feutre épais, de préférence rouge ou bleu,
et surtout pas avec un crayon quasi invisible et de minuscules pattes de mouche.
J'ai remarqué (c'est un peu provocateur à dire comme ça mais ça représente une réalité)
qu'une fois le premier sentiment de "sacrilège" passé, les lecteurs-tests aiment
bien vandaliser un manuscrit à grands coups d'encre rouge.
Enfin, je ne donne aucun commentaire en plus du manuscrit (et en particulier je ne
raconte pas l'histoire "avant" !) afin de ne pas fausser la lecture.
La lecture du manuscrit n'est pas du tout celle d'un livre, elle est plus interactive
et demande un investissement différent. Il faut en tenir compte lorsqu'on fait le
point avec un lecteur test. Exemple :
Si j'essaie de faire passer "subtilement" un certain schéma, le lecteur-test (qui
s'est appliqué) le verra, se félicitera de l'avoir vu et me félicitera en retour
pour ma subtilité. On se gratifie mutuellement de grandes claques dans le dos et
chacun repart content : le lecteur-test parce qu'il est malin, l'auteur parce qu'il maîtrise
parfaitement son schéma narratif. Problème : est-ce qu'un lecteur ordinaire verra
la même chose ? N'ai-je pas intérêt à renforcer le trait ?
Exemple inverse : je fais lire un manuscrit à un lecteur-test qui est lui-même écrivain.
Il peut me dire "Là, la ficelle est un peu grosse !" parce qu'il la connaît bien.
Le lecteur ordinaire l'avalera peut-être sans problème.
Il faut aussi se méfier des lecteurs-test qui adorent réécrire les manuscrits dans
leur tête et qui vous commentent après lecture une histoire infiniment plus riche
et détaillée que celle que vous avez écrite. Ce type de lecture est en général absolument
inutile. On peut lire l'annuaire des téléphones et en déduire "Guerre et Paix" ;
de là à faire une analyse critique intéressante de l'annuaire, il y a loin
Parmi les questions utiles qu'on peut poser après la lecture, il y a :
Comment te sens-tu ? Si le texte (en particulier s'il s'agit d'un texte court) a
pour effet de provoquer un certain choc émotionnel, c'est une bonne façon de savoir
si on y est arrivé.
Quel personnage te plaît le plus ? T'ennuie le plus ? Un personnage ennuyeux est
souvent mal construit, plat, sans profondeur. Par contre un personnage "détesté"
par le lecteur est un personnage "réussi", au sens où il est doté d'une personnalité
à laquelle on peut réagir.
Quel personnage dit les choses les plus intéressantes ? Lequel parle le plus pour
ne rien dire ? Quel est celui avec lequel tu aimerais discuter d'autre chose ? Évaluer
la qualité des dialogues est un travail de titan. Certains personnages (les plus
réussis, en général) dialoguent bien. D'autres s'expriment plus mal, je ne sais pas pourquoi.
C'est un phénomène que j'ai souvent constaté chez moi. Les personnages les plus inutilement
bavards et ennuyeux sont ceux que je sens mal et que je "fais parler". Lorsqu'ils sont
bien clairs dans ma tête, ce sont eux qui parlent et ça va en général
beaucoup mieux. Ça, c'est en général très difficile à retravailler. Lorsqu'un personnage
a des problèmes de dialogue, je m'efforce de l'enrichir (en tant qu'individu), je
le dote d'un passé, d'une histoire, d'un certain nombre de failles et je réécris l'intégralité
de ses dialogues (tuyau de R. Canal : si un personnage vous paraît sans consistance,
dotez-le d'une enfance tragique et/ou d'une infirmité physique ou morale, voir d'un
simple abcès dentaire, avant de le lancer sous les projecteurs !).
Dans quel décor bâtirais-tu ta maison ? Un décor est réussi, à mon sens, si le lecteur
éprouve l'envie de se l'approprier, ou d'y passer ses vacances (ou au contraire s'il
n'y mettrait les pieds pour rien au monde !).
Quelle est la couleur, l'odeur, le fond sonore, dominant du texte ? Sans commentaires.
Huit fois sur dix, la réponse est "Pas d'odeur particulière" !
Au cours de quel passage as-tu eu le plus froid, le plus chaud ?
Etc, etc. Tout ceci revient à essayer de partager des sensations de lecteur vis-à-vis
de ses propres textes. Ça permet en partie de savoir si les informations "dérivées",
ne figurant pas au premier niveau dans le texte sous forme de mots, ont réussi à
passer à la lecture.
Rien d'autre à ajouter. J'attends avec impatience de lire d'autres contributions sur
le même sujet.
P.S. Il existe un certain nombre de livres sur l'écriture (certains des plus intéressants
sont en anglais, non traduits, hélas !). Parmi ceux en français, citons le livre
d'Elisabeth Vonarburg
"Comment raconter des histoires", qu'on peut commander chez
l'auteur, 266 Rue Belleau, Chicoutimi, P. Q. Canada, G7H 2Y8.

© 1996 Jean-Claude Dunyach
Publié avec l'autorisation de l'auteur - Tous droits réservés.